vendredi 12 décembre 2008

Amon Tobin - Foley Room / Ninja Tune

















« Ce mec-là, c'est le patron! »: voici la phrase qui résonne à mes oreilles en cette belle soirée du 15 juillet 2007 à Dour, Belgique Libre. Le patron, dixit un de mes compagnons de voyage, c'est Amon Tobin, qui vient de commencer depuis quelques minutes un set endiablé, pour clôturer dignement cette 19ème édition du festival de Dour. Il est le dernier et le seul à jouer à ce moment-là. Il y a du monde sur la scène principale, un public avide de danser surtout. Et le « Boss » ne les déçoit pas, envoie du lourd avec classe pour une prestation live qui restera pour moi une des meilleures jamais vues.
Pourquoi c'est le patron? Parce que c'est le plus fort et le plus intelligent. Parce qu'il sait tout faire: vous enchanter ou vous déchaîner, vous figer comme de la glace, l'oeil rond et l'oreille à l'affût, ou enflammer vos mollets, la gueule ouverte, criant et sifflant comme un démon. Parce que c'est un artiste profondément immergé dans son univers, loin du show-buisness, des clips racoleurs et des rythmiques faciles. L'anti-pouetpouet par excellence, le hitman de la musique électro.
S'il est une référence, aucun de ses albums ne sera pour moi un disque de chevet. Son penchant très prononcé pour le jazz ne me plaisait pas toujours, tout d'abord... et puis il lui manquait quelque chose d'attachant, au-delà du respect qu'il imposait par sa démarche d'explorateur, sa réputation de génie ascète, un peu « lointain » même, tant il a été d'avant-garde des années durant en tant que pilier de Ninja Tune; créateur d'un monde qui s'est affranchi de lui tout en s'écrasant toujours sur son passage, attentif à chacune de ses sorties, à l'instar d'un DJ Krush.
C'est alors qu'au fin fond du laboratoire qui lui sert de cerveau germe Foley Room. Le brésilien en a assez des samples, il s'attaque à la musique concrète, celle de Pierre Schaeffer et de Pierre Henry, deux vénérables savants fous qui ont compris avant tout le monde que bruit et musique sont une seule et même chose. Amon Tobin part donc, son magnéto sous le bras, enregistrer la matière première de son prochain essai dans des zoos, des chaînes de fabrication de disques compacts, des stations satellite, le long des voies ferrées, au milieu des fourmis (à voir dans le court docu fourni avec le disque)... et dans une « foley room », cette pièce où sont enregistrés les bruitages pour le cinéma et le jeu vidéo. En ressort une symphonie. C'est ça le génie: transformer une masse informe en diamant taillé. Une oeuvre singulière, belle, poétique, parfois barbare, toujours claustrophobe, impensable à écouter par une après-midi ensoleillée. A vrai dire, l'album lui-même est une pièce, ou un complexe de pièces, à explorer.
Chaque recoin de cette Foley Room, chaque piste de cet album est une facette du joyau. Une autopsie approfondie s'impose donc pour décortiquer ce qui fut pour votre serviteur une quasi-révélation, découverte un peu sur le tard (l'album date de 2007), mais qui a ancré définitivement Amon Tobin dans mon moi musical...

« C'est pas de la musique ce que t'écoutes, c'est du bruit!
- Hell yeah. »





Bloodstone

Les frémissements du Kronos Quartet nous accueillent, instaurant d'emblée une atmosphère éthérée, un peu triste et inquiétante, empreinte d'une certaine tension primale au fur et à mesure que les secondes passent, donnant le sentiment qu'une explosion soudaine pourrait vous aspirer à tout moment vers un chaos inconnu. Mais cordes et claviers tiennent le rythme, s'étirant longuement, glissant comme du mercure, pour accumuler bientôt une foule de sons qui viennent s'empiler, se succédant sur le devant de la scène, défilant devant nous en un sabbat au ralenti, pour finir par se retirer doucement dans l'obscurité, nous laissant inquiets et un peu tendus.


Esther's

Tandis que s'égrènent à nouveau quelques notes enchanteresses, il semble que des nuées de rutilants coléoptères mécaniques passent au dessus de notre tête, nous frôlant parfois dans un bourdonnement. Puis les bruits des automates ne font plus qu'un, s'assemblant en un rugissant moteur, marquant le départ en trombe de martèlements sortant tout droit d'une espèce de manufacture tribale. Un ride nocturne et bestial au milieu d'une mégalopole souillée, à la Akira. Notre puissante monture finira par passer son chemin, mutant, hésitant entre la forme massive du terrible engin et la multitude des artefacts insectoïdes.


Keep Your Distance


On dirait une antichambre souterraine en forme de couloir, on l'on avance à contrecœur, secoué par d'ancestraux instruments primitifs, des mélodies faites des cliquètements de breloques rituelles (d'ossements?), accompagnés, comme un pressentiment inquiétant, par les lancinants accords du Kronos Quartet. La descente s'accélère, par étapes, la pente devient plus abrupte, et lorsque l'on s'attend à la chute, et pourquoi pas à tomber nez-à-nez sur je ne sais quel spectacle grotesque et endiablé, le tempo se stabilise, contient son agressivité, et on entrevoit soudain une lueur bleutée et accueillante, nous attirant une nouvelle fois vers une source de chaleur digitale, rassurante pour le moment, mais toujours nimbée de mystère.


The Killers's Vanilla


Nous voici donc dans un espace moins inquiétant mais tout aussi exigu, plus proche des coursives d'un Nautilus bercé par les notes mélancoliques du capitaine Nemo. Les violons étirent toujours l'espace et le temps, conviant des sonorités étranges et électroniques... peut-être les bruits de la machinerie qui nous transporte. Une fois n'est pas coutume, nous sommes emportés par l'accélération intempestive d'une batterie azimutée, désireuse de se défouler, nous bousculant pour nous faire partager sa rage. Le morceau échoue encore dans la folie, trop étroit pour contenir toute les émotions qu'il tente de véhiculer. Lentement, les machines s'arrêtent et meurent...


Kitchen Sink


Les quelques lumières faiblardes autour de nous ont rendu l'âme; on se déplace maintenant dans une tuyauterie humide et oppressante. Notre périple est jalonné de glouglous, de claquements de vieilles conduites, de sons indéfinissables dont on perçoit l'écho. Les bruits de fond prennent de l'ampleur au fil de notre avancée: grincements alarmants, fulgurances électro-magnétiques presque anachroniques. Prennant de l'ampleur, gonflant peu à peu, on attend l'explosion, mais nous aboutissons encore une fois sur une autre partie de notre périple claustrophobe, sans que celle-ci aie livré tous ses secrets...


Horsefish

Une cascade étincelante de harpes dégringole sur nos épaules, comme si nous passions l'entrée d'un passage secret sur une île mystérieuse. Le débit s'accélère, puis meurt presque, pour repartir de plus belle, se précipite, hésite... on perçoit des fragments de ce qui semble être une voix humaine, asexuée et soupirante, ainsi que d'imperceptibles chants d'oiseaux... dont certains sont probablement des modèles synthétiques. Quelques distraites notes de guitare nous rejoignent. Et plus nous avançons, plus le paysage s 'enrichit de nouveaux éléments. C'est ainsi que notre progression en ces mondes étranges est récompensée; on dirait qu'une armée de jouets défile sous nos pieds, comme dans l'Histoire sans Fin II.
Ce nouveau boyau que nous parcourons est un peu plus lumineux que les autres. Mais les ondes qu'il émane, ainsi que les soupirs qui parviennent parfois à nos oreilles, l'empêche définitivement d'être rassurant...



Foley Room


On pousse une porte métallique, faisant quelques pas dans l'obscurité avant de trébucher sur les premiers gadgets qui s'entassent partout dans la pièce. Chaque son apparaît comme démultiplié, rebondissant sur des parois invisibles... la troupe de jouets dont on percevait l'écho sous la cascade nous encercle rapidement; on est assailli de toutes parts par les sons menaçants de ces machines de guerre lilliputiennes. C'est l'hallali, on est vite débordé. On s'affale alors sur une lourde porte en espérant s'échapper, mais on subit une deuxième vague avant de distinguer la lueur d'une sortie. Encore poursuivis par quelques machines volantes, agitant les bras frénétiquement, tel King Kong au sommet de l'Empire State Building, on s'échappe enfin de cette cacophonie.


Big Furry Head


C'est bien à l'air libre que l'on débouche! Heureux, on avale goulûment sa première bouffée d'air frais. Mais on sent tout de suite le goût cendre et l'odeur de soufre. Le panorama est désolé, stérile. On perçoit les ondes qui balayent le décor, faisant office de bourrasques. Nous nous mettons difficilement en branle au cœur du désert. Le rythme est pesant, la traversée émaillée de bruits étranges provenant de directions indéfinissables. Rugissements, grincements, claquements, et encore une fois cette harpe au dessus de nous, laissant choir ses notes qui se tordent en touchant le sol, déclenchant des réactions électro-mécaniques du sol lui-même. On s'enfonce dans le brouillard, finissant par nous complaire dans la mélancolie de ces marécages.


Ever Falling


Cette contrée-ci, si elle dégage la même foideur, nous touche par une certaine majesté. De nobles chants se font entendre au loin, accompagnant le battage perpétuel des pièces métalliques et des cliquètements qui agitent la flore environnante. Une douce mélodie finit par dominer crissements et gargouillis, suscitant l'espoir d'une intelligence humaine à proximité, d'une certaine douceur au milieu de ces terres sauvages et biomécaniques.


Always


Des traces de civilisation, de présences, d'architecture apparaissent à nouveau. Une guillerette harmonie annonce notre entrée, très vite rythmée par l'agitation de la ville, d'une foule hétéroclite faite d'hères fantomatiques dont on perçoit le murmure environnant. Des guitares se font entendre le long des trottoirs, d'aucuns frappant sur ce qu'ils trouvent dans la rue pour faire office de percussions. Un violoncelle nous surprend par sa grandeur d'âme, accompagnant un chœur angélique; ils se mêleront rapidement au brouhaha ambiant, formant un orchestre dépenaillé mais efficace.


Straight Psyche


On se détend un peu: on est toujours vivant et on est pas devenu cinglé. Bercés par des accords paisibles, on observe les curieux matériaux aux couleurs changeantes qui forment les bâtiments et la flore rouillée qui parvient çà et là à percer qui se font moins menaçants, moins envahissants. Une pluie très fine, cristalline, sentant l'éther, commence à tomber sur nos épaules, clairsemant les rues pour un instant. On descend les marches de ce qui ressemble à une galerie peu fréquentée, passant devant des échoppes proposant divers assortiments de babioles craquant, grésillant et ronflant à notre approche.
Fascination pour l'atmosphère presque mystique du lieu, et pour le calme qui règne dans ce souk aux passants et commerçants très flegmatiques.
Nous rejoignons doucement la surface, gravissant une pente douce où l'on peut à nouveau percevoir quelques-unes des minuscules et bruyantes entités qui semblent être les premiers occupants de ce monde. Les quelques formes humaines, silencieuses et ternes, ressemblent davantage à des âmes en peine hypnotisées et fascinées par la fanfare perpétuelle de ces êtres avec qui ils cohabitent.


At the End of the Day


Le faible soleil qui distillait la seule lumière naturelle environnante se couche doucement. J'ai déjà quitté la ville pour assister au spectacle, car la grandiose symphonie de pianos et de cordes invisibles qui ici remplace le vent s'est levée pour l'occasion. S'imbriquant avec les glissements métalliques balayant le pays, elle nous offre un dernier hymne plein de beauté et de fatalité, toujours saturé de digitale: à l'image de notre périple. Une envolée étourdissante convie chaque voix en un émouvant maelström, pour s'évanouir enfin en un adieu, nous laissant vidé et désenchanté, prêt sans doute à devenir citoyen du peuple gris vivant au cœur de ce formidable et éternel bastringue.




















Site web d'Amon Tobin

jeudi 27 novembre 2008

Jean Grae & Blue Sky Black Death - The Evil Jeanius / Babygrande
















Après un superbe « Late Night Cinema », les producteurs de Blue Sky Black Death quittent leur bulle cinématographique pour revenir sur l'asphalte froid de la rue, accompagner les déambulations métaphysiques d'une des meilleures « femcees » du moment, une vraie witch parmi les bitches: l'impitoyable Jean Grae. Maniant l'Uzi qui lui sert de flow avec grâce et dextérité, elle se situe à mille lieues de ses prétendues collègues en mini-short, partageant la place forte du hip hop féminin pur et dur avec quelques compagnes d'armes telles que Stacy Epps ou Invincible... Remarquée surtout aux côtés de The Herbaliser ou 9th Wonder, la New Yorkaise plonge du côté obscur en compagnie des Siths du hip hop, rois maudits régnant sur des plaines arides faites de mélodies et de samples crépusculaires, seigneurs de guerre aussi, lançant leurs beats acérés comme autant d'expéditions punitives, soutenus bien souvent par une cohorte de claviers ombrageux et offensifs qui sont en partie leur marque de fabrique.
Une association heureuse que celle de ces trois écorchés vifs; l'union rêvée, presque. En voyant leurs noms associés sur la cover de l'album, je me suis dis: bon sang, mais c'est bien sûr. Je n'ai d'ailleurs pas bien compris les réactions étonnées à l'annonce de la sortie: Grae est une prédicatrice prédatrice, BSBD des artisans des ambiances deep et apocalyptiques. What else? Leurs styles se combinent à merveille, Jean Grae se frayant un passage au milieu de sonorités lourdes et vengeresses (le fer de lance « Shadows Forever » qui vous casse le museau), aussi bien que sur des morceaux plus mélancoliques, parfois déchirants, comme sur « Threats », ou Chen Lo l'accompagne de ses complaintes parsemées de claps et de choeurs bluesy poisseux et enivrants. D'autres tracks dévoilent sa sensualité et sa douceur, elle qui est plus connue pour ses assauts féroces. A l'image du personnage des X-Men auquel elle emprunte son nom, Jean Grae alterne avec talent gant de velours et main de fer, comme lorsqu'elle fait parler la poudre sur le très hip-hop « Even on your best day », après nous avoir fait rêver avec l'apaisant « Away with me ».
Sur « The Evil Jeanius » comme ailleurs, BSBD démontre qu'ils ont parfaitement compris l'importance d'être constant, comme dirait mon pote Oscar. Ce nouveau chapitre de leur saga est d'une régularité diabolique, voguant du très bon à l'excellent de bout en bout, envahi de ténèbres glacés ou incandescents. Et n'oubliez pas: un album, ça s'écoute d'une traite, bordel! J'en démordrais jamais. Surtout que celui-ci est un peu court...
S'associer à une MC était une première pour BSBD, et le miracle s'accomplit à nouveau: l'harmonie tombe sur nos petites gueules comme une chape de plomb bénie, Jean Grae nous ensorcèle, les instrus transcendent nos oreilles affamées, tantôt en un fracas guerrier, tantôt en une mélopée poignante, traversant des phases d'accalmie, mais n'atteignant jamais une quelconque sérénité... car l'orage plane toujours au-dessus de nos têtes...

Myspace de Jean Grae

Myspace de Blue Sky Black Death

jeudi 13 novembre 2008

Yokohama Zen Rock / Jarring Effects
















Le parcours du label lyonnais Jarring Effects est véritablement jouissif à suivre pour tout auditeur assoiffé d’éclectisme et d’expérimentations sonores. Après avoir été LE label de la musique dub en France, Jarring Effects s’éloigne de plus en plus de ses roots. Mais l’exotisme est toujours de mise dans la plupart de ses sorties… et ce premier album de l’atypique formation Yokohama Zen Rock en est l’illustration parfaite.
Leur musique est composée de judicieux délires hétéroclites, à fort penchant électro-rock, alliant rock’n’roll et lyrisme au fracas discret des machines, alternant folie douce et démence pure, s’abreuvant d’une énergie tantôt furieuse et grandiloquente, tantôt profonde et enivrante. Avouons-le, le génie vocal de Yôkô Higashi, ange schizo balançant entre ordre et chaos, est l’atout majeur de YZR : glissant avec aisance lorsqu’on ne lui fournit en pâture que quelques accords, pulsant la fois suivante comme celle d’une rock star sur des riffs endiablés, puis se décomposant sur des rythmiques brisées par les mains expertes de Spagg, l’homme-machine du Peuple de l’Herbe. Sa voix claire, son chant en japonais, apaisé ou torturé, toujours poétique, accrochent et fascinent. Cette artiste multiple rompue au chant traditionnel, au théâtre Nô et à la danse Butô, est aussi à l’aise dans un registre folklorique que punk, et est capable à tout moment de virer dans l’expérimental illuminé. Elle imprègne ainsi chaque morceau de son charme étrange.
Mais loin de n’exister qu’à travers une belle voix et des lyrics dépaysants, le groupe coordonne habilement ses talents pour donner aux divers paysages traversés le plus de relief possible. La guitare omniprésente et protéiforme de Takeshi Yoshimura accompagne admirablement Yôkô, tandis que Spagg parasite subtilement et efficacement l’ensemble : le long de belles et puissantes plages aux brumes narcotiques nimbées d’une électro métallique par exemple, semblables à un enregistrement digital esquinté d’une mer démontée (« Rosoku », « GNP »), mais aussi lors de passages plus tubesques (le punk-rock endiablé de « Kill me » ou le rêveur « Miminari »), d’escapades bushido-bucoliques mutantes mais harmonieuses (« Plongée », « Futten »)… les forces de chacun fusionnant définitivement sur « Kome, éloge de la fuite », et « Yokohamashika », qui prouvent en quelques minutes bien remplies que l’alliage entre chant traditionnel nippon, guitares saturées et électro grouillante est à même de trancher avec succès dans le gras des protocoles rassurants mais sans saveur que d’aucuns se complaisent à ingurgiter béatement. Le premier album de Yokohama Zen Rock n’est pas un chef d’œuvre, juste un objet obscur qui illumine un peu de sa fraîcheur et de sa vitalité la morne plaine hypertrophiée de l’industrie discographique.

Myspace de Yokohama Zen Rock

dimanche 5 octobre 2008

Sur la route de Jack Kerouac




















S'attaquer à un monument tel que le livre-clé de Jack Kerouac n'est pas sans m'intimider, moi, petit cafard bloggeur. J'ai toujours du mal à mettre des mots sur ce que j'ai ressenti à la lecture de « Sur la route ». Donc désolé si tout ceci n'est pas très clair. Mais il faut dire que ce roman est si viscéral, si émotionnel, que c'est presque un sacrilège de tenter d'intellectualiser quoi que ce soit. Ecrit en 3 semaines sur un rouleau de papier de 36m, il fut remanié plusieurs fois par l’auteur avant d’être accepté par un éditeur… heureusement, la puissance naturelle du récit, sa spontanéité, y a survécu.
« Sur la route » est un véritable concentré de liberté, une bonne dose de rêve américain dans ce qu'il a de plus grandiose et de plus pur. Une ode à l’aventure, à la route, au long de laquelle nous suivons une bande de jeunes chiens fous lancés comme des dératés aux quatre coins des Etats-Unis, sur ce chemin sans fin offrant des possibilités infinies. Véritablement frénétiques, il leur arrivera bien souvent de déconnecter totalement avec la réalité, de s'oublier et d’oublier où ils se trouvent au cours de ces voyages initiatiques. Nous-mêmes, à la fin de l’ouvrage, avons bien du mal à nous remémorer qui, quand, où. On partage la lassitude des trajets, les gueules de bois, les visages et les noms qui se mélangent. Le narrateur épuisé traversant plusieurs fois les mêmes lieux à des époques différentes, enchaînant fête sur fête et galère sur galère de la Côte Ouest à la Côte Est, on pourra l'excuser de parfois perdre le fil ou de radoter un peu. Mais ces jeunes gens, sortis tout juste des affres de la Seconde Guerre Mondiale, savent vivre l'instant présent, sans aucun doute. Et nous en faire profiter : c’est tout ce qui compte. L’intrigue ? Presque inexistante ici ; rien d’autre qu’un fil conducteur commode, accessoire, sacro-saint malgré tout pour certains lecteurs (ou spectateurs, au cinéma) qui ne savent pas voir plus loin que le bout de leur museau, pour qui un bon film/roman, c’est un bon scénario, une bonne histoire, avec un twist qui tue, plein de rebondissements, de tiroirs magiques remplis de lapins blancs devant lesquels on s’extasie.
Bref. Revenons plutôt à nos moutons, qui sont loin de suivre le troupeau.
Salvatore Paradise est un jeune intellectuel en quête de « visions », qui cède à l'appel de la route après un trip en stop jusqu'à Denver où il se lie d'amitiés avec d'étranges voyageurs, fuyards mystérieux, clochards célestes ou jeunes fêtards paumés comme lui. Mais c'est la rencontre avec Dean Moriarty, l'allumé, le baratineur, le « truqueur », en fait un gamin hypersensible, capable d'en arriver à des extrémités catastrophiques (comme l'amputation d'un doigt) pour ne pas perdre une miette d'un road-trip échevelé. Dans une totale frénésie, les fêtes, les amis, les filles, les verres et les concerts de be-bop s'enchaînent, finissant par se confondre pour, à la fin du roman, s'épanouir en une escapade finale en dehors du pays, aux frontières de l'expérience mystique. Kerouac démontre tout son talent, car bien loin d'être répétitifs, les roads-trips géants de ses personnages, largement autobiographiques, suscitent toujours la même fascination. Point de considérations politiques ici, puisque nos aventuriers s'en balancent complètement. Point d'allusions à la guerre tout juste achevée, à part cette laconique phrase de Sal: « on a parlé de la guerre, des moments où ça avait bardé ». C'est tout.
C'est qu'ils ont bien d'autres choses à faire; il leur arrive très souvent de discuter jusqu'à l'aube, comme s'ils voulaient profiter de ces instants qu'ils ont cru à certains moments ne plus jamais avoir l'occasion de vivre. Se gavant d'humanité, arrivant parfois à des états de dénuement extrême, d'épuisement dus à l'adrénaline, à l'alcool ou au thé, comme ils disent, ces jeunes très innocents forment des communautés, trouvant partout dans le pays des comparses aimant la musique jazz, la fête, le squat de maisons bourgeoises et l'amour libre: ce sont les beatniks, précurseurs des hippies sans l'esthétique bariolée, une sorte de nouvelle race de clochards à fleur de peau et de vagabonds érudits aux aspects et aux caractères divers, loin d'un certain conformisme esthétique et culturel dont furent rapidement victimes les hippies, de par leur engagement politique marqué notamment. Le contexte d'immédiate après-guerre était plus propice à profiter d'une liberté retrouvée, d'une peur enfin envolée, alors que les années 60 ont finalement débouché sur un lot d'immondices politiciennes, tronquant rapidement l'innocence et l'insouciance des précurseurs beatniks, pour finalement transformer l'éphémère pinacle du Power Flower en saloperies consuméristes, en extrémisme politique, en bêtise pure et simple due à l'argent, l'abus de drogues, et surtout à une innocence belle et bien perdue.
Ce livre est donc le chaînon indispensable entre deux périodes troublées, un beau Rêve Américain qu'on se surprend à admirer béatement, le cliché d'une époque brève et superbe laissant entrevoir toute la beauté intrinsèque de ce peuple, de sa culture et de ses sauvages territoires... et donc l'étendue de sa corruption, d'un immense gâchis, 60 années plus tard.
Un roman physiquement épuisant ; intellectuellement reposant mais nerveusement et émotionnellement presque insoutenable.


L'hommage du Monde: le road-trip en blog et en photos

Le trajet américain, commentaires et extraits à l'appui

lundi 29 septembre 2008

Shhh! - Flying Lotus / White Label
















Encore une friandise tombée du ciel, cet EP de Flying Lotus, mon nouveau maître à penser... dire que ce mec est plus jeune que moi et qu'il a déjà tout compris à la musique de demain... c'est à la fois déprimant et salvateur.
Si l'on a parcouru Los Angeles pendant des heures, tous feux éteints, les synapses en éveil et le sourire béat, il va falloir ici prendre sur soi et aborder « Shhh! » pour ce qu'il est: une sympathique brochette de remixes, un joli bonus (limité à 500 exemplaires!), une escale en pleine nuit capable de nous offrir quelques instants de grâce.
Car « Shhh! » est très fun et plutôt ludique: les deux premières pistes, d'un style vraiment froid et urbain, la tête plus proche du bitume que des étoiles, reprennent « Stunts » de Mr Oizo, et « Lightworks » de J Dilla. LE morceau d'anthologie de cette galette ouvre la voie: il s'agit donc du mutant « $tunt$ ». Il suffit d'entendre une seule fois ce rouleau compresseur pour céder immédiatement à un headbanging absolument incontrôlable. Jouissif. La pauvre voix angélique du début de « LTWXRMX », quant à elle, est rapidement ensevelie sous le vinyle crissant et un rap affûté sorti tout droit des bas-fonds.
« R2D2 » est un petit bidule électro-geek sympa qui donne le mic au droïde de Star Wars, ponctuant de ses bleeps joyeux un remix cool et nonchalant du soldat RJD2, mort au champ d'honneur. Suivra Lord Quas, issu du « Shadows of Tomorrow » de Madvillain. Rien de transcendant, même si la dernière partie du remix relève davantage le niveau. On perçoit toujours aussi bien les volutes de fumée bleue au milieu des poussières d'étoiles, en tout cas.
Passons sur « Shhh! », instrumental de la piste précédente, pour parler de « Promiscuous », remix sur le pied de guerre sentant l'urgence et la tension, tranchant plutôt avec le reste du disque. Les habituelles boucles hypnotiques fascinent toujours autant, mais prennent une teinte plus inquiétante, moins psyché que ce à quoi nous avait habitué Steve Ellison. « Promiscuous » transforme le duo de la belle Nelly Furtado et du gros pataud Timbaland en friche apocalyptique qui m'a un peu rappelé le « Holocaust » de Blue Sky Black Death.
Même si ce « Shhh! » n'est pas essentiel, il est toujours bon de se repaître du mojo de Flying Lotus, surtout lorsqu'on a l'occasion de le voir retravailler un matériau déjà existant. Ce type tient quelque chose, et il nous en donne un peu ici. Abreuvons-nous de sa créativité, profitons de ce sang neuf... en espérant que la source ne tarisse pas de sitôt.

Myspace de Flying Lotus

mercredi 24 septembre 2008

The Killer Robots EP / Obey records
















Qui n’a jamais rêvé d’accueillir chez soi une bande d’activistes en descente de LSD, puant l'essence, bruyants et sales ? N’attendez plus, The Killer Robots est un de ces adorables groupuscules obscurs qui animera vos surboums ambiance « Fear and Loathing », en faisant parler les poudres pour vous laisser ensuite entre extase et trouille bleue, désorientés, errant dans les rues, les oreilles encore emplies de ce souffle hallucinatoire.
Loin des troupes régulières qui écrasent toutes ces conneries abstraites sans queue ni tête que l’on adore, ils se partagent en clandé le travail de sape sur cette petite bombe d’EP : d’un côté, l’abstract hip-hop poisseux de The Gaslamp Killer, qui se mâtine toujours volontiers de mélodies orientales insondables, profondément opiumisées, vrillées comme les neurones d’Abdul Al-Hazred. Une bonne couche de rock venimeux tout aussi psyché par dessus ça, et on obtient une jolie substance brunâtre entre le C4 et le pavot.
A ses côtés, Free The Robots, un believer qui rêve de voir vos villes écrasées par des robots géants, vos immeubles carbonisés par des soucoupes volantes. Si The GK est l’artificier, Free The Robots est l’électricien de la bande. Son « Clocks and Daggers » ouvre le feu, se posant en une introduction allumée digne de Mars Attacks, tandis que « The Bearded Lady Theme » nous catapulte en pleine BO de cartoon surexcité et bordélique jouée par un groupe de be-bop.
Revendiqué par l’intermédiaire de Shepard Fairey aka Obey, hôte des terroristes sus-cités et auteur d’une très belle propagande graphique, The Killer Robots EP est un beau cocktail Molotov au pétrole brut à balancer sur les façades du conformisme musical, un beau pavé noir en forme de disque pour fracasser les vitrines des colleurs d’étiquettes.

Myspace de Gaslamp Killer
Myspace de Free The Robots

mercredi 17 septembre 2008

There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson
























« J’ai terminé ! »: coup de tonnerre au milieu d’un plan final kubrickien en diable. Ces paroles sortent de la bouche de Daniel Plainview (Daniel Day Lewis), respectable prospecteur en pétrole. Mais c’est aussi Paul Thomas Anderson qui parle à travers lui. La fresque est bouclée, et il peut être fier du résultat. Le génie et la beauté de ce film, mécanique majestueuse et bien huilée comme un derrick, ne sont pas dûs au hasard. En confiant la clé de voûte du métrage à Daniel Day Lewis (le géant Atlas qui porte Gangs of New York sur ses épaules), le résultat était en partie assuré. N’enlevons rien cependant au mérite des autres protagonistes de There Will Be Blood. Orchestré de main de maître, passionnant de bout en bout, mené par d’ excellents acteurs, il a tout du grand film populaire. Mais il ne peut être rangé dans cette catégorie: trop de noirceur, trop de folie et de rage jetés à la face d’un spectateur à qui on n'offre véritablement ni spectacle, ni réflexion intense. Non, on se contente de lui balancer en pleine tête, et de toutes ses forces, une histoire. Une histoire simple en fait, mais d’une réalité puissante, ressemblant à une chute, dont la dramatique inéluctabilité est déjà contenue dans le titre.


Daniel Plainview est chercheur d’or, jusqu’à ce qu’il découvre par hasard un gisement de pétrole à quelques mètres de profondeur. Débute alors pour lui une carrière de prospecteur. Aux côtés du fils, H.W Plainview (Dillon Freasier), il arpente les Etats pétrolifères pour acheter des terrains à bas prix, et en faire de juteux investissements. Il va croiser le chemin d’Eli Sunday (Paul Dano, déjà génial dans Little Miss Sunshine), charismatique prédicateur de Little Boston, où se trouve un gisement exceptionnel.


Commence alors une confrontation entre deux hommes de pouvoir et de manipulation. L’un est un illuminé, l’autre un homme d’affaires sans merci. Deux personnages qui semblent ambivalents : Plainview déteste la religion, Sunday ne semble intéressé que par son église et se méfie du monde des affaires. Mais pétrole et religion auront pour point commun de devenir les deux ingrédients explosifs qui feront éclater peu à peu toutes ces valeurs humaines ayant cours dont les endroits ordinaires du reste du monde. Car nous sommes en Californie, au cœur d’étendues sauvages arpentées par des hommes qui ont dû devenir aussi sauvages qu'elles pour les dompter. Une partie de l‘histoire de l’Amérique, et toute sa substance peut être, sont concentrées dans ces 2h30 de drame humain, comme une leçon d’histoire à l’adresse des générations présentes. Parce que l’esprit pionnier américain a conditionné une culture de la conquête, de la force, du pouvoir. Parce que pétrole et religion sont aujourd’hui encore, et plus que jamais, les deux fers de lance d’une civilisation de conquérants et d’hommes rudes qui ont fini par perdre leur âme à force de rechercher le contrôle. Jusqu’à ce que le sang coule, inévitablement. La tension monte peu à peu, et la sérénité du début laisse peu à peu place à l’hystérie et à la violence. Pas une violence éclatante, une violence larvée qui ne se manifestera que par des fulgurances aussi puissantes que brèves.


Paul Thomas Anderson signe une mise en scène vraiment magistrale, ménageant un cadre idéal à son récit, où l’on a sans cesse le souffle court; malgré tout, le film semble prendre tout son temps. On est accroché dès les premières images, alors que les premières paroles interviennent de longues minutes après le début du film. L’Ouest est admirablement filmé, comme dans No Country for Old Men des frères Coen. On ne peut raisonnablement pas faire un film dans ces régions si on ne sait pas les sublimer, capter l’atmosphère qu’elles instaurent, voire en faire un personnage à part entière. Les personnages, c’est souvent ce qui fait une bonne histoire. Et ici, ils sont tous excellents. Si l’incroyable performance de Daniel Day Lewis est incontestable, celle de Paul Dano est tout aussi bluffante, de même que le jeu quasi-muet du jeune Dillon Freasier.


Voici donc un film 100% américain, un film de l’Ouest, un film de violence physique, psychologique, de beauté sauvage (les scènes d’extraction notamment, grandioses et pleines de tension), de corruption, de cynisme (souvent réjouissant d’ailleurs, constituant souvent le pivot d’un certain humour). Mais point de jugement dans There Will Be Blood. Juste une histoire d’hommes ; c’est d’ailleurs un film très masculin, des acteurs au traitement des thèmes abordés, jusque dans la réalisation. Morale et rédemption sont bien présentes en arrière-plan, mais elles ont bien du mal à déployer leurs ailes majestueuses, engluées qu’elles sont par l’or noir. Nous-mêmes avons bien du mal à juger Daniel Plainview et Eli Sunday, tant le doute plane sur leur nature véritable. Une seule chose est sûre : sur ces terres, les hommes comme les dieux sont bien peu de choses.


mercredi 6 août 2008

Madvillain - Madvillainy / Stones Throw
















Comment aborder son album fétiche? C'est déjà pas évident de poser des mots sur la musique qu'on aime... c'est une vraie introspection, mais on en ressort pas forcément des choses très claires pour le quidam qui a la gentillesse de se risquer à nous lire. On se fait même vertement critiquer parfois... sale épopée...

Pas possible de faire les choses à moitié, en tout cas. Quand chaque son, chaque mot vous retourne le bide, fait tourner votre cerveau à plein régime en une extatique dégustation que l'on peut renouveler des centaines de fois sans s'en lasser, est-ce qu'il est humainement possible de résumer, de synthétiser? Plus qu'une difficulté, c'est presque un sacrilège. Comme si on voulait « résumer » en trois mots la personne que l'on aime.

La chose aimée se nomme Madvillainy, sortie en mars 2004, unique rejeton du projet Madvillain, collaboration entre deux génies d'un hip hop mental, abstrait, barré, éclectique et complexe, entre culture nerd et ghetto. Le premier est un MC perdu dans ses comic-books, au flow unique dans toute la galaxie, Daniel Dumile aka MF Doom (son pseudo et son masque font référence au Dr Doom des Fantastic Four). L'autre est un beatmaker à moitié autiste, hyperactif et surdoué: Otis Jackson Jr, aka Madlib (le « cadavre exquis »).

Le premier disque de hip hop que j'ai réellement écouté, ce n'est pas rien. Un portail vers de nombreuses autres sonorités, le moteur d'une ouverture culturelle qui a largement dépassé au fil du temps le domaine musical. Une pièce du puzzle. Pourquoi il m'a parlé, ce disque, découvert presque par hasard, tandis que je commençais à peine à défricher les sites hip hop du Net? 'Sais pas. J'ai découvert en tout cas que hip hop ne rimait pas toujours avec gangsta. Qu'il existait des artistes à la culture plus proche de la mienne, celle des jeux vidéos, des films de SF, tirant vers un certain radicalisme expérimental.

Bon... en tout cas, ce qui est sûr, c'est qu'au bout de quelques minutes, je me suis dit: « Ouah! C'est quoi ça? ». Et plus j'écoutais, plus j'accrochais. A chaque écoute, ce truc me faisait plus planer que n'importe quelle drogue. Brusque revirement alors? Pas tellement; la scène française et quelques membres du Wu Tang s'étaient déjà chargés de mon initiation. Cheminement logique après avoir écouté du rock, du metal, du punk, de la techno hardcore, de la drum'n'bass? On dirait pas, à vue d'oreille, hein? Pourtant, les passerelles sont bien là quand on sait les voir. Et telle fut la grande leçon: faire valser les étiquettes. Et ça s'applique à bien des choses de notre petite vie, pas vrai? Car si la musique adoucit les moeurs, elle ouvre surtout l'esprit.


Devant un tel monument, il n'y avait donc qu'une seule chose à faire: le démonter brique par brique, le disséquer sous toutes les coutures. S'atteler aussi à un exercice qu'il me tenait à coeur d'aborder depuis quelques temps: accorder une petite chronique à chaque morceau, plutôt qu'une chronique pour tout l'album.

Voici une belle histoire d'amour.


Il était une fois...



The Illest Villains


La chute de l'autre côté du miroir. On bascule au ralenti dans un monde dingo et déglingué, sur un instru cosmique semblant s'étirer, formant une nappe de mercure invisible. Au fur et à mesure de la descente, on perçoit divers sons non identifiés, comme si l'on heurtait des objets inconnus, des voix comme crachées par un antique gramophone, s'exclamant, criant, semblent nous interpeller confusément d'un quelconque danger.

Ces enregistrements mystérieux confèrent à cette introduction une atmosphère décalée et irréelle, comme une annonce sur le quai d'une gare flottant en pleine 4ème dimension. Intrigante et envoûtante, une belle intro, parsemée de samples en noir et blanc, calibrée pour un album extra-terrestre. A quoi s'attendre après un tel collage surréaliste? Impossible dès lors de ne pas écouter d'une traite ce Madvillainy: à la fin, tout deviendra clair, à coup sûr...


Accordion


Qui a dit que l'accordéon était l'apanage de la grande Yvette Horner? Madvillain ose défier la reine avec un instrumental super-accrocheur, lancinant, dégoulinant à nos oreilles juste après notre atterissage: on se sent comme devant le serpent Kaa. Il faut se raccrocher au beat comme à une balise! Heureusement, on trouve vite une planche de salut, un guide, en la personne du Dr Doom; voici donc le lapin blanc! Réjouissant de voyager en musique avec cet auguste chirurgien, au timbre profond. Et quel flow millimétré! Je lui confierais le quadruple pontage de mon grand-père sans hésitation. A condition que scalpel et bistouri soient guidés par sa voix de charmeur de serpents, bien entendu. Mais ça ne fait aucun doute: après tout, il a bien réussi à m'arracher (partiellement) au regard spiralesque de cette boîte à soufflet en peau de reptile qui se balance toujours en face de moi...


Meat Grinder


On se prend alors sur la figure trompette, piano et batterie en une mélodie échevelée. Et encore ces voix perdues qui résonnent, comme dans « The Illest Villains »! Mieux vaut s'éloigner de quelques mètres pour éviter les résidus de réalité qui pourraient encore tomber. Doom nous prend vite par l 'épaule pour nous en détourner, et nous souffle dans la figure une bouffée de fumée exhilarante... il se prend pour la chenille bleue ou quoi? Toujours est-il qu'il vous semble entendre comme un serpent à sonnettes qui ferait vibrer une contrebasse... on est pas débarrassé de notre hypnotiseur, apparemment... il va nous suivre un bon bout de temps. S'y ajoutent les bruits divers et variés, décomposés et superposés, de cette forêt sans nom qui nous entoure; sans doute le chant des corneilles électro-mécaniques qui la peuplent. Notre massif guide discoure toujours sur des délires cyber-urbains complètement irréels... euh, on dirait qu'il parle de cheddar et de Jesus. On comprend pas tout, c'est assez non-sensique, mais ça fonctionne assurément dans cet environnement musical si fou, si riche et si étrange qu'on ne parvient pas à y démêler grand chose... pas grave, Metal Face se faufile si aisément parmi ce labyrinthe instrumental qu'il ne vaut mieux pas lui lâcher la pogne. Follow the leader...



Bistro


Comme s'il avait saisi notre confusion béate et notre attitude stupéfiante, Doom nous emmène faire un saut dans un accueillant bistrot, d'où s'échappe des notes de musique apaisantes, ainsi que la voix de ce qui doit être une très belle femme. Zen... mais on est vite sorti de sa torpeur par des paroles insistantes qui nous secouent comme la main du patron sur l'épaule d'un ivrogne à la fermeture... et par une sonnerie de téléphone aussi. Purée, ça sent la gueule de bois, mais apparemment on s'était juste assoupi quelques secondes. Notre guide ne semble pas en tenir rigueur et poursuit sa causette impitoyable, tandis que la divine voix féminine et la torpeur jazzy de l'endroit continuent à nous bercer...



Raid (featuring Medaphoar)


C'est alors que Doom s'avance sur la scène au fond de la salle, et après ces quelques secondes de calme qui viennent de nous être accordées, il assène sans merci son flow puissant (sans doute revigoré par un petit verre d'absinthe qu'il a dû s'envoyer derrière la cravate). L'orchestre tente de suivre, nous convie à balancer la tête sur un jazz des plus ravigotant, tandis qu'un jeunot s'avance et prend lui aussi la parole: un dénommé Medaphoar, qui joue les maîtres de cérémonie bis d'une voix nasillarde. Boeuf sympa pour un morceau qui ne l'est pas moins. C'est pas tout ça, il est temps de finir son verre et de remonter à la surface, plus hostile mais tout aussi enfumée...


America's Most Blunted (featuring Lord Quas)


C'est même un véritable champ d'herbe dans lequel nous nous enfonçons! De la brume ambiante s'élève encore ces voix si bizarres, qu'on croirait sorties d'une vieille radio: la première semble résonner comme une invitation, tandis que des toux et des glous-glous indéfinissables nous accueillent. Ca gaze sec par ici... MF Doom avoue alors passionnément son amour pour la substance magique qui envahit la zone. On entend tout au long de la traversée quelques accords, probablement joués par ce qui sert de Jimmy Hendrix local. On progresse, dans un nuage de fumée, se balançant nonchalamment sur ce beat, cette boucle toujours présente, qui rythme chacun de nos pas, encore, encore, encore... cette douce sensation d'hypnose dans laquelle on se glisse comme du coton, et, et... mais, je suis défoncé ou quoi? Bah on dirait bien, car voilà qu'un petit bonhomme jaune bondit à nos côtés et commence à converser. Son flow héliumisé ajoute encore à l'atmosphère hallucinante du lieu. Je suis présenté à Lord Quas, rien moins que le maître de cette vallée (et surtout de tout ce qui y pousse).

Ecartant les derniers plants géants pour continuer notre route, on a juste le temps d'écouter les infos vomies par la vieille radio qui traîne quelque part: la marijuana multiplierait la créativité par 8 à 12 fois...


Sick Fit


Hip hop won't stop... Sick Fit nous le fait comprendre, en nous scotchant pendant 1 minute 30 d'instrumental où la vibe exceptionnelle dégagée par Madvillain et le funk mutant qui s'insinue en nous comme un venin n'est interrompu que par le trompettant:


Rainbows


Doom s'y fait plus nonchalant que jamais, se glissant entre les notes de cuivre et une batterie discrète, fricotant au passage avec une pépée qui passait par là.


Curls


Les ambiances et les sons ne cessent de se superposer. On en est presque perdu, où est-ce l'effet du produit inhalé pendant la traversée de America's Most Blunted? En tout cas, qu'est ce que c'est bon! On avance porté par la boucle qui se déroule sous nos pieds, émaillée de sonorités exotiques, caribéennes, rafraîchissantes. Mais on est bien loin des cocotiers, sauf si vous en avez déjà vu pousser au milieu d'un ghetto, défonçant le béton et bousculant les pylônes électriques. Doom se fait plus incisif, l'esprit sans doute un peu éclairci. Le vent qui souffle à nos oreilles sait rester funky, tout en gardant sa verve hip hop.



Do Not Fire!


Une minute suffit à traverser cette arène: sur une musique rappelant des productions kung fu made in HK ou Thaï, on perçoit les exclamations de combattants virtuels. Tous des héros connus de la génération vidéo-ludique des 90's. A peine le temps de les saluer et de croiser quelques autochtones aux voix étouffées, qui nous sont désormais familiers, que l'on passe à un plus gros morceau:


Money Folder


Un segment percutant à souhait après avoir croisé des adeptes du street fighting, voilà qui est plutôt logique. Entame coup de poing, phrasé décidément tranchant, Metal Face pète la forme plus que jamais. Difficile de le suivre. Instru dépouillé constitué d'une petite batterie et d'un synthé vintage. Simple mais efficace, belle démo de rap sans chichis par le senseï Doom. Petit sample où se côtoient cartoon et comics pour nous préparer au délire de la prochaine piste sur laquelle nous nous engageons, celle du pays Acme, pays qui doit sa renommée aux soirées enfumées.


Shadows of Tomorrow


On ne rigole pas longtemps: un instru dévastateur nous frappe vite en pleine bouche. On est encore plus étourdi par l'intervention du petit mec jaune de tout à l'heure, qui a délaissé son titre de noblesse hors de ses terres, et se présente maintenant sous le nom de Quasimoto. Son étrange timbre de voix gonflé à l'hélium se fait ici une arme redoutable, idéale pour faire tourner la tête à tout quidam aux yeux rouges qui a le malheur de tomber sur lui en plein chill.

Il assène ses vérités surréalistes sur un son suintant l'urgence et la tension, au milieu de quelques scratchs bien sentis. Doom rentre dans la danse, vole comme le papillon, pique comme l'abeille. Quelques clochettes renforcent cette atmosphère de combat muay thai.


Operation Lifesaver (aka Mint test)


On attaque encore sur quelques notes agressives, puis la testostérone se dissipe pour laisser place à des lyrics presque chuchotés, sans pour autant perdre toute agressivité. On débarque désormais pour un bout de temps en pleine zone urbaine, sur une mélopée ambiante qui laisse augurer que la nuit qui est en train de tomber sur Madvillain City sera épaisse. Doom poursuit sa démonstration, s'affirmant sur un rythme plus lent, sans perdre de sa superbe, en devenant même menaçant, affirmant à tous qu'il est en mission en ce bas monde.


Figaro


On atteint un des sommets du voyage: le docteur ès microchirurgie Doom affiche une précision à déboulonner le plus pointu des robots-laser. Une armée de claps rythme d'ailleurs l'opération, comme pour honorer sa performance; un poussiéreux synthé égrène en rythme quelques notes mélancoliques: on opine du chef inconsciemment, happé une nouvelle fois par la tchatche du Metal Face, qui balancera tranquillement, tout au long de ces 2 minutes, une belle volée de scalpels. L'air de rien.


Hardcore Hustle (featuring Wildchild)


On entre de plein pied dans le ghetto de l'Enfant Sauvage de la ville, jeune chien fou au flow rentre-dedans, qui toaste en levrette le funk coloré de Sly and The Family Stone, ici syncopé de toutes parts, déformé comme si aucun élément, image, son ou individu issu de la réalité extérieure ne pouvait subsister en l'état dans ce monde.


Strange Ways


Ronflant et démesuré, pachydermique comme la colonne d'Hannibal, ainsi est l'entame du boulevard Strange Days. Divas et trompettes accueillent l'entrée d'un MF Doom triomphant, au coeur de ce véritable hymne hip hop. Une mélodie douce et envoûtante surgit en un rapide interlude, comme un bouquet jeté au devant de milles régiments de blindés en plein Blitzkrieg. Ecrasée en un instant, elle réapparaît pourtant quelques secondes plus tard, sonnant la fin des hostilités. C'est alors à une de ces voix d'âme perdue, surgie du fond des archives radiophoniques américaines, de clore le morceau...


Fancy Clown (featuring Viktor Vaughn)


On se réfugie quelques instants dans une de ces caves d'immeuble, dont l'ambiance n'est pas sans rappeler le bistrot de tout à l'heure, en moins chaleureux. Au-dessus de nous, on perçoit les bruits qui témoignent de la vie d'une population hétéroclite qui semble peupler l'endroit. On entend les radios de voitures de police qui passent dans la rue. Nous sommes ici pour écouter la complainte de Viktor Vaughn, sombre hère qui ressemble comme un frère à notre bon vieux Doom. Bière et joint décrépi à la main, il nous conte la corruption, la pourriture de la ville, le côté obscur de ses condisciples. Quelques mélancoliques notes de piano accompagnent un beat froid comme le ciment.


Eye (featuring Stacy Epps)


Un peu plus loin on se rend chez Stacy, charmante sirène dont je laisse la voix m'envoûter, confortablement installé, rassuré par ce timbre suave après la rencontre pour le moins inquiétante avec Vaughn. Le temps d'une petite infusion de Magic Haze dans l'ambiance intimiste et soul de son accueillante bulle. Il est bientôt temps de redescendre dans la rue.


Supervillain Theme


On replonge en plein trip urbain, secouant encore une fois la tête sur un instru imparable qui colle à mes semelles, ralentit le temps autour de moi, me fait décrocher l'espace d'une minute. Juste le temps d'une petite introspection, de celles qui surgissent précisément lors d'une déambulation urbaine hasardeuse, un soir de pluie dans le monde réel, les yeux brouillés par l'alcool et les joints.


All Caps


Glissant béatement sur quelques notes de flûte, idéales pour me changer les idées, je suis sorti de ma torpeur par Doom, comme il sait si bien le faire: avec une grosse baffe. Cela faisait quelques temps que je ne l'avais pas entendu, celui-là. D'ailleurs il part de bon coeur dans un de ses ego-trips, transformant le morceau en pure épopée, assénant sa tirade sans me laisser respirer, me chopant par le col pour me faire comprendre qu'on écrit son nom tout en majuscules, putain.

Il déroule comme un fou, dévale ces deux minutes à tombeau ouvert, se faufilant au milieu de sonorités profondes et entêtantes, construites en cascades, semblant vouloir définitivement graver ses paroles dans le marbre, à coups de claviers protéiformes et de cuivres pesants comme des gants plombés. Il se faufile au milieu des sonorités changeantes, construites en cascades. L'atmosphère mute ensuite, se faisant orientalisante, se rapprochant de l'habillage sonore d'un début de combat dans Il Etait une Fois en Chine, pour mieux s'achever sur celui... euh... d'une poursuite en voiture dans un film genre La Mort aux Trousses.

C'est que les choses commençaient presque à devenir normales.


Great Day


Un brin de soleil semble percer, après les sombres minutes qui nous sont tombées dessus depuis notre arrivée dans cette putain de ville. Des notes accueillantes dégringolent, une musique d'ascenseur de luxe en quelque sorte, mais qui sait s'emballer au bon moment pour titiller notre échine. Doom se veut plus rassurant... toujours aussi obsédant, il m'entraîne toujours à sa suite avec ses belles paroles, et moi je tombe dans le panneau comme un bleu. Je me dis que c'est pas impossible qu'il ait bouffé le serpent hypnotiseur au début du périple.



Rhinestone Cowboy


On arrive à destination après avoir déambulé au rythme du tranquille « Great Day ». On dirait le club hip-hop du coin. Je me cale dans un coin; on applaudit le grand MF Doom à tout rompre tandis qu'il prend le mic, déclamant sa prose lunaire sans même l'appui d'un beat, se contentant de trois ou quatre lancinants accords pour étaler sa science du rap. Il enchaîne parfaitement, ce qui est devenu une habitude et ne me frappe même plus, je suis vraiment hypnotisé, faut croire. J'espère qu'il va finir par claquer des doigts pour me sortir de cet état inquiétant. D'ailleurs, tout semble s'estomper tout à coup: la musique et les vivas du public semblent s'éloigner... encore une de ces foutues voix transistoresques qui résonne dans ma tête... elle m'avertit: on va entendre parler d'un supervilain rapidement, dans les journaux. Fatiguant, ces délires non-sensiques. Lorsqu'elle finit par se replier sur quelques notes dramatiques, les applaudissements et la musique reprennent le dessus, mais plus de trace de mon lapin blanc. Je parie qu'il me fait le numéro du mec en retard.

Comment je vais me sortir de là, moi?


A l'heure où je vous parle, j'y suis toujours.





jeudi 31 juillet 2008

RAoul Sinier - Brain Kitchen / Ad Noiseam
















Producteur français prolifique et méconnu, Raoul Sinier (ex-RA) m’attire depuis plusieurs mois déjà. Suivant ses dernières sorties (6 depuis 2007, dont 3 albums !) avec intérêt, j’étais toujours fasciné par sa démarche artistique pour le moins foisonnante et complète : en plus d’une musique riche et intrigante, Sinier crée sur le même mode des vidéos, des illustrations, des textes, des magazines spécialement pour la sortie de ses disques, apportant une grande consistance à son œuvre. Un talent artistique protéiforme, mais aussi la preuve d’un engagement profond dans chacun de ses projets, engagement qu’on aimerait voir plus souvent dans l’industrie musicale.

Mêlant breakbeat, IDM et électro expérimentale, le grand Raoul triture ses machines jusqu’à obtenir d’elles des enchevêtrements sonores où l’on a souvent l’impression d’écouter le carnage provoqué par un trisomique lâché dans un magasin de musique, sans trop savoir s’il joue ou s’il fracasse les instruments en milles morceaux. Mais au milieu de ce génial vacarme œuvre l’orfèvre Sinier, chirurgien à la précision diabolique, découpant au scalpel ces milliers de sons barbares pour les ériger en immenses et puissants Frankenstein, plutôt intimidants, mais qui savent se faire attachants. Que l’on progresse au milieu de morceaux ressemblant à des jungles luxuriantes transformées en décharges pour déchets informatiques, comme parmi des environnements plus rassurants, plus accrocheurs, grâce à des mélodies et des samples qui savent faire mouche (oui, on peut siffloter du Raoul Sinier sous la douche !), le travail de composition, surtout sur les rythmiques, est en tous points impressionnant.

Les titres plus accessibles se regroupent plutôt en début d’album, tandis que dans la seconde partie, on a de plus en plus l’impression de voir le disque nous échapper, se liquéfiant, se déstructurant ou ruant dans les brancards pour mieux échapper à toute assimilation. Car qu’on ne s’y trompe pas, le monde de Raoul Sinier demande une certaine dose d’acharnement pour en saisir toute la singularité. Mais ce talent pour allier de temps à autre le « tubesque » (avec pas mal de guillemets) et l’expérimental le plus griffu est admirable, et laisse augurer du meilleur.

A l’image d’un train fantôme aux innombrables et immenses pièces aux décors foisonnants, Brain Kitchen dissèque notre cerveau à un rythme effréné. En ressort parfois une cuisine presque subtile, bien que toujours très saignante (avec un arrière-goût de rouille), d’autres fois des amas bouillonnants de chairs et de métal, le tout agrémenté d’une bonne rasade de cyberpunk et de quelques bandes de films d’horreurs. Mais si on a les tripes et l’estomac bien accroché, on finit par rester hypnotisés par le savoir-faire de ce chef atypique.

Myspace de RAoul Sinier

Brain Kitchen Magazine

Des clips qu'ils sont beautiful

jeudi 26 juin 2008

Flying Lotus - Los Angeles / Warp
















« J'aurais voulu être un artiste », comme disait ce mégalo ultra-capitaliste fourbe et haineux. Je t'en foutrais, moi. Bon, ses parents devaient être dans la bureaucratie, probablement bancaire, ce qui n'aide pas. Les miens sont dans l'armée et la manipulation mentale (on appelle ça l'éducation nationale aussi). C’est peut-être mieux, en tout cas ça donne des passions étranges, genre les armes à feu et les bouquins tordus que personne ne lit, sur des mecs qui baisent avec des carcasses de voitures... pas top.

Steven Ellison a eu plus de chance. Dans son arbre généalogique, on trouve Alice et John Coltrane. On est moins étonnés du coup quand on écoute sa dernière galette, dédiée à sa ville, Los Angeles. L'éclectisme de sa culture musicale vous saute à la gueule d'autant plus que ses différentes composantes sont mijotées avec talent, savamment transformées sans être déformées, et habitées par la touche d'étrange qu'il faut pour susciter la fascination nécessaire pour faire planer vos synapses. Lorsqu'on ouvre grand ses oreilles, on voit: des milliers de miles de virées nocturnes urbaines, des montagnes de VHS de science-fiction et de cartouches de jeux vidéos, des tonnes de weed, et Dr Dre et Snoop jouant au tarot dans une flying saucer. Oui.

On serait tenté de le comparer à Madlib, grand explorateur au même titre, repoussant les frontières de son genre. Mais là où le maître de Stonesthrow fait preuve d'une certaine frénésie, boulimique de vinyles obscurs, concoctant des potions magiques grouillantes d'ingrédients divers et variés, cavalant d'un genre à l'autre pour des résultats qui restent inégaux, Fly Lo choisit de rester dans sa galaxie. Une galaxie lointaine, très lointaine, surnaturelle et fascinante, associant chaleur et profondeur des beats à la froideur glaciale et magnifique d'une électronique rêveuse, minimaliste et millimétrée.

Los Angeles est un album terriblement abouti. Son auteur élève le sens de la boucle au rang de science, livrant une musique tombée des étoiles: le hip hop nous parlant du futur, organique et technologique. Et s'il n'a jamais cessé de l'être, y puisant même ses origines, le mariage de l'humain avec sa machine est ici consommé passionnément. En résulte un enfant complètement biomécanique, un album qu'on ne peut qualifier de mutant tant sa structure est pure et harmonieuse, bien que sa forme soit profondément troublante lors du premier contact... que cela ne vous empêche pas d'adopter sans tarder cette nouvelle forme de vie musicale, cosmique mais aussi puissamment urbaine, imprégnée de l'atmosphère de la ville, fondue en elle tel un Horla post-moderne...

Tiens, finalement mon héritage familial en termes de littérature m'a permis de finir cette chronique.

Myspace de Flying Lotus

samedi 31 mai 2008

Blue Sky Black Death - Late Night Cinema / Babygrande records
















Dans le chaudron bouillonnant de ce qu’on définit encore sous l’étiquette obsolète de « hip-hop », on trouve milles ingrédients mystérieux qui feraient passer la potion magique de Panoramix pour une banale soupe de poireaux : gangsters de Compton, hypeux à la Timbaland, fêtards camés du Dirty South, writers introspectifs, nerds de l’abstract, blancs-becs sautillant nourris à l’électro, scratcheurs fous, psychos de la frange dark à la Necro ou Dälek… Blue Sky Black Death appartiendrait à la dernière catégorie, celle d’un hip hop complexe, très émotionnel, lourd comme un temps d’orage, torturé comme un lendemain d’apocalypse. On y trouve bien souvent d’authentiques orfèvres dont la richesse des influences transcende l’appellation « hip-hop », plus vraiment d’origine contrôlée. La formation qui nous intéresse aujourd’hui en est assurément l’un des fleurons, livrant des instrumentaux fascinants, millimétrés, si beaux que les featurings y deviennent presque encombrants! Rien de tel qu’un bon BSBD 100% instrumental pour décoller de son siège…

Ca tombe bien, Late Night Cinema est de ceux-là. Young God et Kingston ont été biberonnés au 7ème art, et à la bande originale : il rendent ici à cet univers un vibrant hommage. La puissante personnalité, très visuelle, de cet album s’accorderait en effet à merveille à une sorte de western moderne et urbain, très dramatique et lyrique… dans l’esprit de The Cinematic Orchestra, en moins lumineux, genre face cachée de la lune.

Définitivement, il faut plutôt parler de compositions que de prods hip-hop lorsqu’on évoque BSBD, et même si on décèle souvent un beat, une boucle, on s’attardera davantage sur les mélancoliques passages noyés sous les cordes, les claviers sublimes, les chants de divas fatiguées, avec l’ombre d’Ennio Morricone qui planerait au-dessus de tout ça… on reconnaît d’ailleurs un sample très connu de « Il était une fois dans l’Ouest » sur « Ghosts Among Men ».

La maîtrise est impressionnante, la production polie comme un diamant, une grande harmonie se dégage de Late Night Cinema. On passe constamment de l’ombre à la lumière, lumière dont les innombrables variations nous laissent bien souvent en pleine béatitude. Avec cet album, Blue Sky Black Death a bâti sa cathédrale. Pas vraiment de place (malheureusement ?) pour des morceaux plus puissants et épiques tels que ceux joués avec Warcloud ou Hell Razah ; question de cohérence et de sensibilité. Ici le voyage est plutôt calme, la musique adoucit les mœurs, dans un écrin de mélancolie légère qui ne nous bouscule jamais vraiment, mais nous ouvre grand l’esprit. Et c’est vrai que, quand même, c’est ça qui est bon, si je puis me permettre.

Myspace de BSBD

jeudi 8 mai 2008

Fumuj - The Robot and the Chinese Shrimp / Jarring Effects
















C’est le printemps. Il fait beau, il fait chaud. Le monde change un peu autour de nous. On flâne, on s’habille léger, il y a du monde partout… il fait beau quoi. Le soleil, ça veut dire aussi les rues plus animées, et ces mystérieuses fenêtres ouvertes y déversant des flots de musique. Un peu trop fort pour une écoute, à vrai dire ; il semble qu’il s’agisse plutôt de faire profiter de ses goûts musicaux la populace d’en bas. Idem sur les routes. Bon, alors on se tape souvent du son de kéké, ou alors l’insupportable mec qui claque Tryo à fond dès qu’il fait beau, genre il sort jamais le skeud en hiver. Vous ne voulez pas ressembler à ce genre de personnes exécrables. Vous voulez avoir la classe, vous cherchez le son qui tue et qui met la patate en ces semaines pré-estivales. Ne cherchez plus.

Nouvel événement du label Jarring Effects, ce second album de Fumuj, formation tourangelle (euh, ça veut dire originaire de la ville de Tours, et non pas qu’il s’agit un groupe composé d’oiseaux) ressuscite l’énergie dévastatrice de la fusion. Raah. Cet heureux mélange électro/metal/hip hop a fait le bonheur de la scène alternative pendant bien des années, transcendant les frontières entre genres, amenant métalleux et b-boys à se laisser chatouiller les oreilles par des sons électroniques. Aujourd’hui, la tendance est de toute façon à l’hybride. Mais l’esprit survolté et un peu bordélique de la fusion n’est plus vraiment au rendez-vous.

Chez Fumuj, cet esprit anarchiste, un peu punk, on l’a. Et on le met au boulot, au service de la puissance de feu. Pas de chichis, même si on est ravis par les mélanges stylés opérés entre 8-bit spirit, metal hurlant, dub cybernétique et rap au mutagène bouillonnant (assuré par MC Miscellaneoius, un vrai sauvage) en passant par des touches orientales, reggae, indus, j’en passe et des meilleures. On peut aussi tomber, au détour d’une piste, sur des cuivres épiques, des claviers mélancoliques, ou des accords acoustiques, errants de ci de là… des voies différentes pour aboutir au même résultat, l’essentiel: ça casse la gueule.

Entre instrumentaux et toastings protéiformes, l’album déroule comme une vraie locomotive. La présence écrasante d’une basse et d’une batterie, seules vraies constantes, remplissent tout l’espace, faisant le plein de la machine Fumuj, semblant être les axes autour desquels s’articulent des centaines de bruits, des flots de paroles tournoyant à pleine vapeur tout au long de The Robot and the Chinese Shrimp. Mais la bête a aussi ses phases de calme, empreintes de voix filtrées, d’échos étranges, d’ambiances surréalistes, comme dans un œil du cyclone.

Et, miracle, ce Frankenstein ne se déboulonne jamais, même s’il lui reste quand même des progrès à faire niveau maîtrise. Mais c’est sûrement ce qui fait tout son charme.

Myspace de Fumuj



samedi 3 mai 2008

Family guy presents Blue Harvest






















Parfois, on se dit : Dieu est grand (ou pas).

Comme quand on vous annonce l’adaptation cinématographique de votre bouquin/bédé/recette de cuisine préféré : ça vous file comme des guili-guili dans le bas-ventre, vous êtes tous fous, avec en même temps un peu d’appréhension, la crainte justifiée que l’adaptation soit une belle merde.

Et là, en passant à la Fnuck, l’œil vagabond, que vois-je : une chtite tête de gondole où s’étale la belle affiche, immédiatement reconnaissable par le fan, de Star Wars : A New Hope, le quatrième, et donc premier, épisode de la saga Star Wars. C’est alors que, plissant les yeux de perplexité, je m’approche, interpellé par l’anormale vivacité des couleurs. Tiens donc, mais, mais… ces petits personnages sympathiques, tout en rondeurs… je ne rêve pas, ce sont bien LES GRIFFIN (Family Guy en V.O) ! Une famille qui a pris dans mon cœur la place des Simpson : plus trash, plus geek, leur humour ultra référentiel me les a fait adopter immédiatement.

Star Wars a toujours eu une grande place dans la série. Ca s’imposait logiquement : un épisode long entièrement consacré aux films de Georges Lucas… plus précisément, Blue Harvest est la parodie de A New Hope. Un véritable pastiche, puisqu’on y retrouve presque toutes les scènes du film original ! Cela tient parfois de la fidélité parfaite, même si quelques aménagements scénaristiques ont été ajoutés : le déménagement d’un canapé de l’Etoile Noire, la carbonisation de l’orchestre de John Williams, les passages en vitesse lumière psychédéliques, ou encore les sabres lasers reconvertis en désinsectiseurs… si les gags sont toujours aussi géniaux, le respect du matériau d’origine est bel et bien là : chaque détail, posture, réplique, accessoire est reproduit et/ou tourné en dérision. Pour un vrai fan comme moi, c’est à chialer de bonheur. Vraiment. L’esthétique Star Wars est parfaitement reproduite, c’est superbe. Leur talent comique est carrément transcendé par leur adoration du monde de Star Wars. Mieux encore que le débilos Spaceballs de Mel Brooks. Marrant de voir que les auteurs vont même jusqu’à se permettre de montrer du doigt les imperfections du matériau d’origine, les invraisemblances qu’on a soit même pas relevé dans le film original, même après l’avoir vu 50 fois (au moins). Et ce qui est ultimement (?) fort dans Blue Harvest, c’est l’animation. L’image est nickel déjà, et on se surprend à carrément admirer les mouvements du Faucon Millenium et les ballets des X-Wings et des chasseurs TIE. Ca, je ne m’y attendais pas. Bin oui, c’est drôle, et en plus, c’est beau. Alléluia.

Ce qui est génial, c’est qu’on a là un vrai DVD, un hommage respectueux d’une part, et riche. L’équipe a contacté Lucasfilm il y a bien longtemps pour faire approuver leurs gags et leur utilisation du character design. Quelques années plus tard, ils obtiennent facilement le feu vert pour démarrer Blue Harvest (titre originel de Return of The Jedi d’ailleurs). Les bonus nous livrent un exceptionnel entretien avec le grand Georges, où celui-ci avoue sa sympathie pour Les Griffin, répondant en toute simplicité aux questions d’un Seth McFarlane qui aurait sûrement été moins intimidé devant Jésus (ça fait trois références à la religion, faut pas chercher, Star Wars, c’est LA religion). Georges Lucas est un homme rare, qui n’accorde que très peu d’interviews. C’est dire si le projet lui a plu. Une bonne raison pour un fan d’acheter immédiatement ce DVD. En sus ,vous aurez droit à un making-of, transpirant la passion et la geek-attitude, nous faisant découvrir une équipe simple, sympa et douée. On les découvre mieux encore dans le commentaire audio, qui réunit de nombreux membres de l’équipe dans une ambiance joyeusement bordélique.. Ca fait bien plaisir un vrai DVD bien rempli de bonus bordel, parce que c’est pas tous les jours, hein ! Ya même un épisode inédit !


samedi 5 avril 2008

MC Totally Rad and DJ Fuck – Fuck’n’Rad / Jarring Effects
















Les gens de Jarring Effects sont des braves. Ce label basé à Lyon enrôle depuis 1995 foule d’artistes doués, créatifs, plutôt anonymes, toujours avec une identité très forte. Des mutants, des freaks inclassables et indécrottables en gros, à la base oeuvrant dans le milieu dub-électro comme Ez3kiel ou High Tone, maintenant issus aussi bien du jazz-afrobeat-soul-hiphop de Mei Tei Sho, que de la J-Pop (genre méconnu dans l’Hexagone) de Asian Z.

Pas peur d’aller loin pour dénicher leurs futurs poulains, les lyonnais. Il y a peu, c’est en Afrique du Sud qu’ils se lient avec le label African Dope, seul label indépendant d’électro-hip hop dans une ville du Cap livrée au R’n’B et au hip hop mainstream US. Ni une ni deux, Jarring Effects distribue deux albums produits par Sibot, tête de file du label, accompagnés d’un sampler African Dope, dans un coffret intitulé Capetown Beats.

L’une des trois galettes est donc l’album qui nous intéresse aujourd’hui. Les deux minots complices sur la cover, c’est DJ Fuck (aka Sibot) et MC Totally Rad (aka Waddy Jones). Kidonk? Personnellement je ne connaissais que Totally Rad grâce à ses quelques collaborations avec le duo Interlope (signé chez JFX également). Bonne nouvelle, le bonhomme est un vrai malade, avec un flow comme un sac de billes que l'on renverse, comme un toaster sautillant rempli de slime jusqu’à la gueule. Cavalant sans cesse derrière le rythme, il crée un effet de décalage pour ainsi dire littéral, en une symbiose inédite avec la musique barrée, multicolore, brinquebalante et hétéroclite de DJ Fuck, qui surfe joyeusement sur des mélodies alliant électro guillerette, sonorités hip hop affûtées et gimmicks enfantins. A côté de ça, ce dernier possède une grande maîtrise de ses machines, ses compos n’ont rien à envier à certains orfèvres de l’abstract hip hop (à écouter, son album instru In With the Old, une perle).

Dans la cour de récré de JFX, Fuck’n’Rad c’est un peu le gamin qui joue à la Game Boy, morve au nez et casquette de travers, ricanant bêtement et bafouillant en argot…

samedi 29 mars 2008

Charles Krafft













Cela faisait quelques temps que je voulais "parler d'art". Je mets des guillemets parce que bon, je suis pas très à l'aise pour disserter sur le sujet. Vous allez voir des artistes ou des oeuvres qui me plaisent, sans que je sache expliquer tellement pourquoi. J'aime les esthétiques bien décalées, sombres, un peu thrash...
Et là, je tombe sur Charles Krafft, créateur de biens obscurs objets. Je vais juste dire que j'adore cette inversion extrême de l'image que véhicule la porcelaine. Vous savez quoi offrir à Mémé maintenant.

Bref, ouvrez vos yeux, avec une première gallerie, pour vous chauffer.
Quelques clichés de son exposition en collaboration avec le ministère de la Défense slovène, à Ljubjana.
Charles Krafft crée des oeuvres "en lien avec les réalités modernes", même les plus dégueulasses.
Un article (en anglais) du site Ceramics Today.
Un autre, plus long, avec de larges extraits d'entretiens (et toujours en anglais). Pour les non-anglophones, je mettrais plus tard une retranscription d'une interview qu'il a livré pour le dernier Clark magazine.

Enfin, une vidéo-diaporama de son travail sur la porcelaine (il est conseillé de couper le son... désolé):


vendredi 21 mars 2008

Crash! de J.G Ballard


















James Ballard subit un grave accident de la route, où il provoque la mort d'un automobiliste. Fantasmant de manière inexpliquée sur la femme de celui-ci, qu'il a également blessé, il va ensuite faire la connaissance d'un chercheur marginal au charme tordu, fasciné par les accidents de voiture, traquant les catastrophes routières autour de l'aéroport de Londres, entraînant rapidement notre narrateur à sa suite dans la quête d'une nouvelle et grotesque sexualité entre aciers déchiquetés et chairs mutilées. La mise en scène minutieuse de collisions impliquant des célébrités semblant être le sommet à atteindre pour l'effrayant Vaughan.

L'auteur se met d'ailleurs lui aussi en scène dans ce scénario dément, puisque le personnage porte son nom. Peut-être une façon de se remettre moralement en question, dans un monde de plus en plus obsédé par le sexe et la technologie. L'alliance de ces deux mamelles de la société moderne étant le paroxysme de notre décadence. Son Malaise dans la civilisation personnel en somme. En effet, la faillite des sentiments constitue pour J.G Ballard le drame le plus important du XXème siècle, qui a vu esprit et conscience se développer conjointement à une technologie omniprésente, engendrant alors des aberrations, des perversités hors normes... au travers du prisme du sexe comme arène idéale de l'épanouissement. Pouvoir et sexualité ayant toujours été étroitement liés, avec la figure tutélaire de l'homme tyrannique, ils deviennent pour Ballard une véritable question politique, les déclencheurs de déchaînements de violence constants. Crash! est une métaphore sexuelle de ces déviances, une sorte de prédiction imagée des abus les plus horribles imaginables, exerçant sur les protagonistes (et les lecteurs) une fascination irrépressible.

La pornographie comme parabole d'une société machiste et dominatrice donc, dont le paroxysme serait une union littérale, cauchemardesque, entre sexe et machines. Nous somme confrontés ici à un « document psychopathe », l'expression la plus abrupte et dégénérée de l'effondrement sentimental et relationnel d'une race. Il qualifiait d'ailleurs son œuvre, à l'origine (en 1973), de véritable roman d'anticipation, d'avertissement.

On pourrait accuser Ballard de jouer la carte de la provocation, du racolage macabre, tant l'auteur fait preuve d'une imagination perverse qui semble sans limites, mais il possède indéniablement une plume remarquable, développant un style riche, se complaisant toujours dans la pornographie, accentuant ainsi le malaise qui nous serre la gorge et nous lève le cœur, surtout pendant les longs passages descriptifs... âmes sensibles et esprits instables s'abstenir! On pourrait presque qualifier Crash! de poétique et de lyrique, en particulier quand l'horreur des accidents et des fantasmes atteint des sommets (je pense aussi au chapitre où le personnage principal conduit sous acide... on s'y croirait!). Sa lecture s'apparente d'ailleurs davantage à celle d'un recueil de poésie: pour ma part je ne lisais que de brefs passages, car se trouver au plus profond des cerveaux déviants des personnages est pour le moins assez éprouvant.

De plus l'intrigue ne constitue pas vraiment un fil conducteur. On sait dès les premières lignes qu'un tel récit ne peut que finir dramatiquement, et on comprend qu'il ne s'agit au fond que d'un détail. La mutation qui s'opère dans l'esprit du narrateur, de sa femme et de la clique que Vaughan traîne derrière son charisme monstrueux est le seul semblant d'histoire auquel on peut se raccrocher. L'effet sur notre propre subconscient des multiples virées en compagnie de Vaughan et Ballard est encore plus angoissant à vrai dire.

On peut comparer Ballard l'auteur à William Burroughs, et on comprend aisément que David Cronenberg, cinéaste obsédé par le corps, la violence et la technologie, aie adapté le livre au cinéma en 1996.

On ne ressort pas indemne de la lecture de Crash!, avec le sentiment d'avoir été véritablement pénétré de plein fouet par une masse de métal hurlante, suintant l'essence, le liquide séminal et l'adrénaline.