lundi 29 septembre 2008

Shhh! - Flying Lotus / White Label
















Encore une friandise tombée du ciel, cet EP de Flying Lotus, mon nouveau maître à penser... dire que ce mec est plus jeune que moi et qu'il a déjà tout compris à la musique de demain... c'est à la fois déprimant et salvateur.
Si l'on a parcouru Los Angeles pendant des heures, tous feux éteints, les synapses en éveil et le sourire béat, il va falloir ici prendre sur soi et aborder « Shhh! » pour ce qu'il est: une sympathique brochette de remixes, un joli bonus (limité à 500 exemplaires!), une escale en pleine nuit capable de nous offrir quelques instants de grâce.
Car « Shhh! » est très fun et plutôt ludique: les deux premières pistes, d'un style vraiment froid et urbain, la tête plus proche du bitume que des étoiles, reprennent « Stunts » de Mr Oizo, et « Lightworks » de J Dilla. LE morceau d'anthologie de cette galette ouvre la voie: il s'agit donc du mutant « $tunt$ ». Il suffit d'entendre une seule fois ce rouleau compresseur pour céder immédiatement à un headbanging absolument incontrôlable. Jouissif. La pauvre voix angélique du début de « LTWXRMX », quant à elle, est rapidement ensevelie sous le vinyle crissant et un rap affûté sorti tout droit des bas-fonds.
« R2D2 » est un petit bidule électro-geek sympa qui donne le mic au droïde de Star Wars, ponctuant de ses bleeps joyeux un remix cool et nonchalant du soldat RJD2, mort au champ d'honneur. Suivra Lord Quas, issu du « Shadows of Tomorrow » de Madvillain. Rien de transcendant, même si la dernière partie du remix relève davantage le niveau. On perçoit toujours aussi bien les volutes de fumée bleue au milieu des poussières d'étoiles, en tout cas.
Passons sur « Shhh! », instrumental de la piste précédente, pour parler de « Promiscuous », remix sur le pied de guerre sentant l'urgence et la tension, tranchant plutôt avec le reste du disque. Les habituelles boucles hypnotiques fascinent toujours autant, mais prennent une teinte plus inquiétante, moins psyché que ce à quoi nous avait habitué Steve Ellison. « Promiscuous » transforme le duo de la belle Nelly Furtado et du gros pataud Timbaland en friche apocalyptique qui m'a un peu rappelé le « Holocaust » de Blue Sky Black Death.
Même si ce « Shhh! » n'est pas essentiel, il est toujours bon de se repaître du mojo de Flying Lotus, surtout lorsqu'on a l'occasion de le voir retravailler un matériau déjà existant. Ce type tient quelque chose, et il nous en donne un peu ici. Abreuvons-nous de sa créativité, profitons de ce sang neuf... en espérant que la source ne tarisse pas de sitôt.

Myspace de Flying Lotus

mercredi 24 septembre 2008

The Killer Robots EP / Obey records
















Qui n’a jamais rêvé d’accueillir chez soi une bande d’activistes en descente de LSD, puant l'essence, bruyants et sales ? N’attendez plus, The Killer Robots est un de ces adorables groupuscules obscurs qui animera vos surboums ambiance « Fear and Loathing », en faisant parler les poudres pour vous laisser ensuite entre extase et trouille bleue, désorientés, errant dans les rues, les oreilles encore emplies de ce souffle hallucinatoire.
Loin des troupes régulières qui écrasent toutes ces conneries abstraites sans queue ni tête que l’on adore, ils se partagent en clandé le travail de sape sur cette petite bombe d’EP : d’un côté, l’abstract hip-hop poisseux de The Gaslamp Killer, qui se mâtine toujours volontiers de mélodies orientales insondables, profondément opiumisées, vrillées comme les neurones d’Abdul Al-Hazred. Une bonne couche de rock venimeux tout aussi psyché par dessus ça, et on obtient une jolie substance brunâtre entre le C4 et le pavot.
A ses côtés, Free The Robots, un believer qui rêve de voir vos villes écrasées par des robots géants, vos immeubles carbonisés par des soucoupes volantes. Si The GK est l’artificier, Free The Robots est l’électricien de la bande. Son « Clocks and Daggers » ouvre le feu, se posant en une introduction allumée digne de Mars Attacks, tandis que « The Bearded Lady Theme » nous catapulte en pleine BO de cartoon surexcité et bordélique jouée par un groupe de be-bop.
Revendiqué par l’intermédiaire de Shepard Fairey aka Obey, hôte des terroristes sus-cités et auteur d’une très belle propagande graphique, The Killer Robots EP est un beau cocktail Molotov au pétrole brut à balancer sur les façades du conformisme musical, un beau pavé noir en forme de disque pour fracasser les vitrines des colleurs d’étiquettes.

Myspace de Gaslamp Killer
Myspace de Free The Robots

mercredi 17 septembre 2008

There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson
























« J’ai terminé ! »: coup de tonnerre au milieu d’un plan final kubrickien en diable. Ces paroles sortent de la bouche de Daniel Plainview (Daniel Day Lewis), respectable prospecteur en pétrole. Mais c’est aussi Paul Thomas Anderson qui parle à travers lui. La fresque est bouclée, et il peut être fier du résultat. Le génie et la beauté de ce film, mécanique majestueuse et bien huilée comme un derrick, ne sont pas dûs au hasard. En confiant la clé de voûte du métrage à Daniel Day Lewis (le géant Atlas qui porte Gangs of New York sur ses épaules), le résultat était en partie assuré. N’enlevons rien cependant au mérite des autres protagonistes de There Will Be Blood. Orchestré de main de maître, passionnant de bout en bout, mené par d’ excellents acteurs, il a tout du grand film populaire. Mais il ne peut être rangé dans cette catégorie: trop de noirceur, trop de folie et de rage jetés à la face d’un spectateur à qui on n'offre véritablement ni spectacle, ni réflexion intense. Non, on se contente de lui balancer en pleine tête, et de toutes ses forces, une histoire. Une histoire simple en fait, mais d’une réalité puissante, ressemblant à une chute, dont la dramatique inéluctabilité est déjà contenue dans le titre.


Daniel Plainview est chercheur d’or, jusqu’à ce qu’il découvre par hasard un gisement de pétrole à quelques mètres de profondeur. Débute alors pour lui une carrière de prospecteur. Aux côtés du fils, H.W Plainview (Dillon Freasier), il arpente les Etats pétrolifères pour acheter des terrains à bas prix, et en faire de juteux investissements. Il va croiser le chemin d’Eli Sunday (Paul Dano, déjà génial dans Little Miss Sunshine), charismatique prédicateur de Little Boston, où se trouve un gisement exceptionnel.


Commence alors une confrontation entre deux hommes de pouvoir et de manipulation. L’un est un illuminé, l’autre un homme d’affaires sans merci. Deux personnages qui semblent ambivalents : Plainview déteste la religion, Sunday ne semble intéressé que par son église et se méfie du monde des affaires. Mais pétrole et religion auront pour point commun de devenir les deux ingrédients explosifs qui feront éclater peu à peu toutes ces valeurs humaines ayant cours dont les endroits ordinaires du reste du monde. Car nous sommes en Californie, au cœur d’étendues sauvages arpentées par des hommes qui ont dû devenir aussi sauvages qu'elles pour les dompter. Une partie de l‘histoire de l’Amérique, et toute sa substance peut être, sont concentrées dans ces 2h30 de drame humain, comme une leçon d’histoire à l’adresse des générations présentes. Parce que l’esprit pionnier américain a conditionné une culture de la conquête, de la force, du pouvoir. Parce que pétrole et religion sont aujourd’hui encore, et plus que jamais, les deux fers de lance d’une civilisation de conquérants et d’hommes rudes qui ont fini par perdre leur âme à force de rechercher le contrôle. Jusqu’à ce que le sang coule, inévitablement. La tension monte peu à peu, et la sérénité du début laisse peu à peu place à l’hystérie et à la violence. Pas une violence éclatante, une violence larvée qui ne se manifestera que par des fulgurances aussi puissantes que brèves.


Paul Thomas Anderson signe une mise en scène vraiment magistrale, ménageant un cadre idéal à son récit, où l’on a sans cesse le souffle court; malgré tout, le film semble prendre tout son temps. On est accroché dès les premières images, alors que les premières paroles interviennent de longues minutes après le début du film. L’Ouest est admirablement filmé, comme dans No Country for Old Men des frères Coen. On ne peut raisonnablement pas faire un film dans ces régions si on ne sait pas les sublimer, capter l’atmosphère qu’elles instaurent, voire en faire un personnage à part entière. Les personnages, c’est souvent ce qui fait une bonne histoire. Et ici, ils sont tous excellents. Si l’incroyable performance de Daniel Day Lewis est incontestable, celle de Paul Dano est tout aussi bluffante, de même que le jeu quasi-muet du jeune Dillon Freasier.


Voici donc un film 100% américain, un film de l’Ouest, un film de violence physique, psychologique, de beauté sauvage (les scènes d’extraction notamment, grandioses et pleines de tension), de corruption, de cynisme (souvent réjouissant d’ailleurs, constituant souvent le pivot d’un certain humour). Mais point de jugement dans There Will Be Blood. Juste une histoire d’hommes ; c’est d’ailleurs un film très masculin, des acteurs au traitement des thèmes abordés, jusque dans la réalisation. Morale et rédemption sont bien présentes en arrière-plan, mais elles ont bien du mal à déployer leurs ailes majestueuses, engluées qu’elles sont par l’or noir. Nous-mêmes avons bien du mal à juger Daniel Plainview et Eli Sunday, tant le doute plane sur leur nature véritable. Une seule chose est sûre : sur ces terres, les hommes comme les dieux sont bien peu de choses.