dimanche 1 mars 2009

Gonzo Highway de Hunter S. Thompson



















Voici sans doute le témoignage le plus éclairant sur ces cinquante dernières années. En effet, qui de mieux placé qu'un authentique imposteur, colérique, tordu, alcoolique et accro aux armes à feu, pour décrire la moitié de siècle la plus dépravée de l'Histoire?
Gonzo Highway est une sélection de la correspondance de Hunter S. Thompson, par son éditeur. Des lettres, il en écrivait des tonnes. A n'importe qui, n'importe quand. A ses amis comme à ses ennemis: artistes, éditeurs, auteurs, rédacteurs en chef, présidents des Etats Unis, chefs de gangs de motards, créanciers, dentistes... avec une plume cannibale et un humour barbelé. Proche de Tom Wolfe, William S. Burroughs, admirateur d'Henry Miller et d'Hemingway, sa vie n'a pour but que de pourchasser l'irrévérence, dépasser ses modèles, choquer et surtout faire bouger les choses: une profession, le journalisme, et un pays, les USA.
Hunter S. Thompson est plus connu de par l'adaptation cinématographique d'un de ses premiers succès littéraires, road trip halluciné de deux camés déjantés au coeur du plus vaste et du plus vicieux parc d'attractions américain: Fear and Loathing in Las Vegas (Las Vegas Parano). Et de devenir instantanément et indirectement une référence pour toute une génération de petits junkies amateurs. Le film est bon, l'adaptation réussie bien que victime des excès habituels de Terry Gilliam: frénésie filmique et couleurs psychopathes.
Pour beaucoup, désormais, le vieux Hunter EST Raoul Duke.
Grossière erreur.
Car le plus grand talent de Thompson, c'est la falsification. Brouilleur de pistes génial, il s'attaque à l'investigation, qu'il ne tarde pas à prendre en levrette dans de petits journaux locaux, puis dans le service d'information des Armées pendant son service militaire; déjà, il y fait des étincelles. S'il captive par son écriture souvent rageuse, c'est sa démarche de raconteur qui sera la donnée la plus caractéristique de sa « carrière »: le gonzo-journalisme était né. Fruit d'une expérience vécue, les gonzo-récits laissent une large place à l'interprétation personnelle (souvent sous influence) de son auteur. Partant du principe que toute fiction est bien meilleure que n'importe quel journalisme, Thompson est un romancier avant tout. Loin d'être de simples originalités, son récit, sa pensée, portent un message et une vision à la fois déjantée et terriblement lucide du monde qui l'entoure, avec un style si unique et savoureux qu'on s'y complait rapidement. De toute façon, mieux vaut l'apprécier, sous peine de recevoir de copieuses lettres d'insultes: car le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ne ménage pas le milieu de la presse, sur lequel il comptait souvent pour payer ses factures. Un exemple que je devrais peut-être suivre... une bonne lettre ordurière après un courrier de refus standard, y'a que ça de vrai. Démonstration: « J’ai bien l’intention, le jour ou je vous croiserai, de vous refaire le portrait et d’éparpiller vos ratiches sur la Ve Avenue. » ou encore: « Je déboule à New York en bécane et je vais exploser vos sales tripes à la fusée éclairante. ». Et quand il est embauché, il se fait souvent virer pour « excentricité »... étrange...
Lorsqu'il sort de son r anch ultra-sécurisé, pas toujours défoncé et/ou armé, il peut aborder des sujets aussi divers que le sport (le combat d'Ali à Kinshasa, qu'il « couvre » d'une manière assez inédite), la vie sur la côte Ouest (la communauté de Big Sur, les déchets de la baie de San Franscisco). Il va aussi traduire en actes un engagement politique certain: ainsi il se présente en tant que shérif du comté de Pitkin, Colorado. Il dénonce la corruption et le mensonge qui gangrènent l'Amérique de ce début des années 70, rongeant à belles dents le Rêve Américain, dont il est clame souvent qu'il est un témoin de la dégénérescence. Choqué par l'assassinat de Kennedy, il se présentera carrément aux élections présidentielles. Sa correspondance épistolaire du moment illustre clairement son dégoût de la classe politique, sur laquelle il s'acharne avec jubilation. C'est qu'il n'a pas pour habitude d'y aller par quatre chemins, le Hunter! Il fera des pieds et des mains pour couvrir la campagne présidentielle de 72, de laquelle il tirera « Fear and Loathing: On the Campaign Trail'72 », en français « La Grande Chasse aux Requins ». S'ensuivra une surprenante amitié avec le candidat Jimmy Carter. Présents également dans le recueil, des récits moins rocambolesques que ses tribulations gonzo en Amérique du Sud (« Rum Diary » sur sa décadente carrière à Porto Rico, notamment) ou au Vietnam, mais très engagés, et tout aussi révélateurs de la personnalité du bonhomme, qui n'était pas qu'un original. Le récit de sa présence à Chicago au coeur d'une manif me file encore des frissons tant il retranscrit bien la fièvre et l'adrénaline du moment!
Cette plongée dans les coulisses de ses romans et de ses articles, de ses amitiés et de ses inimités, ont suscité personnellement une grande affection/admiration pour Thompson, la voix embrumée et agressive de la CSP++ des excités, barjos et autres freaks. Un homme libre comme on en voit rarement, qui finira sa vie comme il l'a vécu: il se tirera une balle dans la tête le 20 février 2005, dans son ranch d'Aspen.