jeudi 27 novembre 2008

Jean Grae & Blue Sky Black Death - The Evil Jeanius / Babygrande
















Après un superbe « Late Night Cinema », les producteurs de Blue Sky Black Death quittent leur bulle cinématographique pour revenir sur l'asphalte froid de la rue, accompagner les déambulations métaphysiques d'une des meilleures « femcees » du moment, une vraie witch parmi les bitches: l'impitoyable Jean Grae. Maniant l'Uzi qui lui sert de flow avec grâce et dextérité, elle se situe à mille lieues de ses prétendues collègues en mini-short, partageant la place forte du hip hop féminin pur et dur avec quelques compagnes d'armes telles que Stacy Epps ou Invincible... Remarquée surtout aux côtés de The Herbaliser ou 9th Wonder, la New Yorkaise plonge du côté obscur en compagnie des Siths du hip hop, rois maudits régnant sur des plaines arides faites de mélodies et de samples crépusculaires, seigneurs de guerre aussi, lançant leurs beats acérés comme autant d'expéditions punitives, soutenus bien souvent par une cohorte de claviers ombrageux et offensifs qui sont en partie leur marque de fabrique.
Une association heureuse que celle de ces trois écorchés vifs; l'union rêvée, presque. En voyant leurs noms associés sur la cover de l'album, je me suis dis: bon sang, mais c'est bien sûr. Je n'ai d'ailleurs pas bien compris les réactions étonnées à l'annonce de la sortie: Grae est une prédicatrice prédatrice, BSBD des artisans des ambiances deep et apocalyptiques. What else? Leurs styles se combinent à merveille, Jean Grae se frayant un passage au milieu de sonorités lourdes et vengeresses (le fer de lance « Shadows Forever » qui vous casse le museau), aussi bien que sur des morceaux plus mélancoliques, parfois déchirants, comme sur « Threats », ou Chen Lo l'accompagne de ses complaintes parsemées de claps et de choeurs bluesy poisseux et enivrants. D'autres tracks dévoilent sa sensualité et sa douceur, elle qui est plus connue pour ses assauts féroces. A l'image du personnage des X-Men auquel elle emprunte son nom, Jean Grae alterne avec talent gant de velours et main de fer, comme lorsqu'elle fait parler la poudre sur le très hip-hop « Even on your best day », après nous avoir fait rêver avec l'apaisant « Away with me ».
Sur « The Evil Jeanius » comme ailleurs, BSBD démontre qu'ils ont parfaitement compris l'importance d'être constant, comme dirait mon pote Oscar. Ce nouveau chapitre de leur saga est d'une régularité diabolique, voguant du très bon à l'excellent de bout en bout, envahi de ténèbres glacés ou incandescents. Et n'oubliez pas: un album, ça s'écoute d'une traite, bordel! J'en démordrais jamais. Surtout que celui-ci est un peu court...
S'associer à une MC était une première pour BSBD, et le miracle s'accomplit à nouveau: l'harmonie tombe sur nos petites gueules comme une chape de plomb bénie, Jean Grae nous ensorcèle, les instrus transcendent nos oreilles affamées, tantôt en un fracas guerrier, tantôt en une mélopée poignante, traversant des phases d'accalmie, mais n'atteignant jamais une quelconque sérénité... car l'orage plane toujours au-dessus de nos têtes...

Myspace de Jean Grae

Myspace de Blue Sky Black Death

jeudi 13 novembre 2008

Yokohama Zen Rock / Jarring Effects
















Le parcours du label lyonnais Jarring Effects est véritablement jouissif à suivre pour tout auditeur assoiffé d’éclectisme et d’expérimentations sonores. Après avoir été LE label de la musique dub en France, Jarring Effects s’éloigne de plus en plus de ses roots. Mais l’exotisme est toujours de mise dans la plupart de ses sorties… et ce premier album de l’atypique formation Yokohama Zen Rock en est l’illustration parfaite.
Leur musique est composée de judicieux délires hétéroclites, à fort penchant électro-rock, alliant rock’n’roll et lyrisme au fracas discret des machines, alternant folie douce et démence pure, s’abreuvant d’une énergie tantôt furieuse et grandiloquente, tantôt profonde et enivrante. Avouons-le, le génie vocal de Yôkô Higashi, ange schizo balançant entre ordre et chaos, est l’atout majeur de YZR : glissant avec aisance lorsqu’on ne lui fournit en pâture que quelques accords, pulsant la fois suivante comme celle d’une rock star sur des riffs endiablés, puis se décomposant sur des rythmiques brisées par les mains expertes de Spagg, l’homme-machine du Peuple de l’Herbe. Sa voix claire, son chant en japonais, apaisé ou torturé, toujours poétique, accrochent et fascinent. Cette artiste multiple rompue au chant traditionnel, au théâtre Nô et à la danse Butô, est aussi à l’aise dans un registre folklorique que punk, et est capable à tout moment de virer dans l’expérimental illuminé. Elle imprègne ainsi chaque morceau de son charme étrange.
Mais loin de n’exister qu’à travers une belle voix et des lyrics dépaysants, le groupe coordonne habilement ses talents pour donner aux divers paysages traversés le plus de relief possible. La guitare omniprésente et protéiforme de Takeshi Yoshimura accompagne admirablement Yôkô, tandis que Spagg parasite subtilement et efficacement l’ensemble : le long de belles et puissantes plages aux brumes narcotiques nimbées d’une électro métallique par exemple, semblables à un enregistrement digital esquinté d’une mer démontée (« Rosoku », « GNP »), mais aussi lors de passages plus tubesques (le punk-rock endiablé de « Kill me » ou le rêveur « Miminari »), d’escapades bushido-bucoliques mutantes mais harmonieuses (« Plongée », « Futten »)… les forces de chacun fusionnant définitivement sur « Kome, éloge de la fuite », et « Yokohamashika », qui prouvent en quelques minutes bien remplies que l’alliage entre chant traditionnel nippon, guitares saturées et électro grouillante est à même de trancher avec succès dans le gras des protocoles rassurants mais sans saveur que d’aucuns se complaisent à ingurgiter béatement. Le premier album de Yokohama Zen Rock n’est pas un chef d’œuvre, juste un objet obscur qui illumine un peu de sa fraîcheur et de sa vitalité la morne plaine hypertrophiée de l’industrie discographique.

Myspace de Yokohama Zen Rock