dimanche 5 octobre 2008

Sur la route de Jack Kerouac




















S'attaquer à un monument tel que le livre-clé de Jack Kerouac n'est pas sans m'intimider, moi, petit cafard bloggeur. J'ai toujours du mal à mettre des mots sur ce que j'ai ressenti à la lecture de « Sur la route ». Donc désolé si tout ceci n'est pas très clair. Mais il faut dire que ce roman est si viscéral, si émotionnel, que c'est presque un sacrilège de tenter d'intellectualiser quoi que ce soit. Ecrit en 3 semaines sur un rouleau de papier de 36m, il fut remanié plusieurs fois par l’auteur avant d’être accepté par un éditeur… heureusement, la puissance naturelle du récit, sa spontanéité, y a survécu.
« Sur la route » est un véritable concentré de liberté, une bonne dose de rêve américain dans ce qu'il a de plus grandiose et de plus pur. Une ode à l’aventure, à la route, au long de laquelle nous suivons une bande de jeunes chiens fous lancés comme des dératés aux quatre coins des Etats-Unis, sur ce chemin sans fin offrant des possibilités infinies. Véritablement frénétiques, il leur arrivera bien souvent de déconnecter totalement avec la réalité, de s'oublier et d’oublier où ils se trouvent au cours de ces voyages initiatiques. Nous-mêmes, à la fin de l’ouvrage, avons bien du mal à nous remémorer qui, quand, où. On partage la lassitude des trajets, les gueules de bois, les visages et les noms qui se mélangent. Le narrateur épuisé traversant plusieurs fois les mêmes lieux à des époques différentes, enchaînant fête sur fête et galère sur galère de la Côte Ouest à la Côte Est, on pourra l'excuser de parfois perdre le fil ou de radoter un peu. Mais ces jeunes gens, sortis tout juste des affres de la Seconde Guerre Mondiale, savent vivre l'instant présent, sans aucun doute. Et nous en faire profiter : c’est tout ce qui compte. L’intrigue ? Presque inexistante ici ; rien d’autre qu’un fil conducteur commode, accessoire, sacro-saint malgré tout pour certains lecteurs (ou spectateurs, au cinéma) qui ne savent pas voir plus loin que le bout de leur museau, pour qui un bon film/roman, c’est un bon scénario, une bonne histoire, avec un twist qui tue, plein de rebondissements, de tiroirs magiques remplis de lapins blancs devant lesquels on s’extasie.
Bref. Revenons plutôt à nos moutons, qui sont loin de suivre le troupeau.
Salvatore Paradise est un jeune intellectuel en quête de « visions », qui cède à l'appel de la route après un trip en stop jusqu'à Denver où il se lie d'amitiés avec d'étranges voyageurs, fuyards mystérieux, clochards célestes ou jeunes fêtards paumés comme lui. Mais c'est la rencontre avec Dean Moriarty, l'allumé, le baratineur, le « truqueur », en fait un gamin hypersensible, capable d'en arriver à des extrémités catastrophiques (comme l'amputation d'un doigt) pour ne pas perdre une miette d'un road-trip échevelé. Dans une totale frénésie, les fêtes, les amis, les filles, les verres et les concerts de be-bop s'enchaînent, finissant par se confondre pour, à la fin du roman, s'épanouir en une escapade finale en dehors du pays, aux frontières de l'expérience mystique. Kerouac démontre tout son talent, car bien loin d'être répétitifs, les roads-trips géants de ses personnages, largement autobiographiques, suscitent toujours la même fascination. Point de considérations politiques ici, puisque nos aventuriers s'en balancent complètement. Point d'allusions à la guerre tout juste achevée, à part cette laconique phrase de Sal: « on a parlé de la guerre, des moments où ça avait bardé ». C'est tout.
C'est qu'ils ont bien d'autres choses à faire; il leur arrive très souvent de discuter jusqu'à l'aube, comme s'ils voulaient profiter de ces instants qu'ils ont cru à certains moments ne plus jamais avoir l'occasion de vivre. Se gavant d'humanité, arrivant parfois à des états de dénuement extrême, d'épuisement dus à l'adrénaline, à l'alcool ou au thé, comme ils disent, ces jeunes très innocents forment des communautés, trouvant partout dans le pays des comparses aimant la musique jazz, la fête, le squat de maisons bourgeoises et l'amour libre: ce sont les beatniks, précurseurs des hippies sans l'esthétique bariolée, une sorte de nouvelle race de clochards à fleur de peau et de vagabonds érudits aux aspects et aux caractères divers, loin d'un certain conformisme esthétique et culturel dont furent rapidement victimes les hippies, de par leur engagement politique marqué notamment. Le contexte d'immédiate après-guerre était plus propice à profiter d'une liberté retrouvée, d'une peur enfin envolée, alors que les années 60 ont finalement débouché sur un lot d'immondices politiciennes, tronquant rapidement l'innocence et l'insouciance des précurseurs beatniks, pour finalement transformer l'éphémère pinacle du Power Flower en saloperies consuméristes, en extrémisme politique, en bêtise pure et simple due à l'argent, l'abus de drogues, et surtout à une innocence belle et bien perdue.
Ce livre est donc le chaînon indispensable entre deux périodes troublées, un beau Rêve Américain qu'on se surprend à admirer béatement, le cliché d'une époque brève et superbe laissant entrevoir toute la beauté intrinsèque de ce peuple, de sa culture et de ses sauvages territoires... et donc l'étendue de sa corruption, d'un immense gâchis, 60 années plus tard.
Un roman physiquement épuisant ; intellectuellement reposant mais nerveusement et émotionnellement presque insoutenable.


L'hommage du Monde: le road-trip en blog et en photos

Le trajet américain, commentaires et extraits à l'appui

1 commentaire:

Léa a dit…

Je te le prendrais bien à l'occaz...